Robert Nash naît en 1930 à Eastbourne. Petite station balnéaire du Sussex, non loin du cap Béveziers. Peut-être y a-t-il croisé, enfant, le roi Georges V et la reine Mary ou Claude Debussy qui disait de cette station en vogue des bords de Manche, que c'était un lieu « où la mer s'exhibe avec une correction purement britannique ». À la fin des années 30 ses parents émigrent vers les États-Unis. Il se marie en 51 avec Catriona Macfarlane. Ils auront un fils mort au Vietnam en 1974. Catriona mourra deux ans plus tard. C'est peu de temps après que Robert Nash s'installera dans sa petite maison du Maine. Il disparaît en 95, alors qu'il était parti en randonnée. Malgré les recherches son corps ne sera jamais retrouvé.
Du même auteur, dans cette même collection est paru en 2018 : "Maine"
Robert Nash
Poèmes
à un ami français
Éditions de la revue À l’Index, 2020, 105 pages.
Curieuse aventure en vérité que celle de
ce manuscrit. L’éditeur, Jean-Claude Tardif, lui-même poète, alors qu’il
soulève le couvercle d’une malle, découvre des poèmes-lettres adressés à son
père. L’auteur : un certain Robert Nash, Anglais devenu Américain. Tout à
la surprise de plonger dans l’échange occasionné par une amitié dont il
ignorait tout, il se surprend à déchiffrer l’anglais de vieux feuillets, tantôt
peu lisible, tantôt totalement ruiné par le temps et l’humidité et à aller
jusqu’à concevoir une édition. Ainsi, quarante ans après avoir été écrites,
voici que nous accédons à quelques pages sauvées de l’oubli. La voix de Robert
Nash, toute en clarté et sobriété, nous invite, en dévoilant quelques parts
intimes d’une destinée, à pénétrer dans la dernière phase d’une vie faite de
solitude voulue et acceptée. Nous allons donc, au fil des poèmes, nous
rapprocher des souvenirs de la femme aimée, disparue deux années après la perte
du fils, mort en 1974 au Vietnam. Nous ne trouvons là aucun dolorisme, mais une
déchirante méditation sur le repli d’un homme qui trouve dans la présence d’un
blaireau la seule et suffisante compagnie. Un sac à dos / rien d’autre pour
une vie / peu de souvenirs d’enfance / une plage peut-être sur la côte anglaise
/ un père, une mère / qui présage ce que vous serez. Que valent donc nos
destinées ? sinon d’accéder à l’oubli de sa propre personne. L’auteur
évoque largement des faits anodins, le cri d’un balbuzard, le vent dans les
arbres, sans jamais relâcher sa pensée unique : l’effacement. Et comme si
l’écriture était dictée par une loi interdisant tout hasard, nous apprenons en
fin de volume que Robert Nash a disparu en 1995 ; il ne rentra jamais
d’une randonnée et son corps ne fut pas retrouvé. Saluons aussi le travail de
la traductrice, Françoise Besnard-Canter. Si elle suit quand cela est permis le
texte au plus près, elle sait que le passage au français nécessite souvent un
déploiement des vers dont l’original en anglais, langue de l’ellipse par
excellence, peut se passer. N’y voyons là aucune trahison, mais au contraire la
volonté de se rapprocher, au risque parfois de l’ajout d’une idée, de la pensée
intime de l’auteur.
CARINO BUCCIARELLI
II
Dylan ne l’a pas lu, ni Sylvia Plath. Pas plus que Berrigan – à ne pas confondre avec Brautigan, qui ne l’a pas connu, non plus – et Bukowski pas davantage qui pensait (comme Ferré me le répétait, aussi), que tous les poètes vivants – sauf lui – étaient nuls. Non avenus.
Dylan, de même prénom, ne l’a pas vu errer dans le Maine, entre 1976 et 1995, État où il a survécu, en triste état, après tant de deuils et douleurs, en proie au doute. Berrigan aurait aimé, j’en suis certain, croiser cet homme-là, meurtri sincèrement, irrémédiablement meurtri, mais qui se tint debout, sur le fil de la canne-épée de la poésie. Oui, Nash (son nom… de ville !) se tient debout, à le lire, et la poésie, avec lui, tient la route, à bout de bras, sans apprêt ni fla-fla. C’est en cela qu’il est proche de Brautigan, toujours à hauteur d’humaine humilité, mais, à l’inverse de Richard (… tu m’entends ?), il ne se suicida, Nash. Robert avait mieux à faire : il correspondit, par exemple, des décennies avec le père de Jean-Claude, et celui-ci ne retrouva ces lettres que par hasard, d’autres décennies plus tard.
Comment Dylan,
nobélisé de frais, pourrait avoir entendu parler d’un poète jamais
publié ? Et comment
diable Berrigan, je veux écrire Brautigan, aurait pu lire Robert Nash ?
Même Ferlinghetti – toujours en vie, à 101 ans – dernier acteur-témoin de la
mythique Beat Generation – ne lira sans doute jamais cet homme qui
partit seul en randonnée, en 1995, et dont le corps, à l’instar d’un Arthur
Cravan,
ne fut jamais retrouvé. Bukowski en a la chique coupée ; voire coupe-rosée ! Un poète authentique, bien que (ou parce que) jamais imprimé de son vivant… J’entends, d’ici, Emily Dickinson rigoler : « – Vous voyez bien que ce qui compte, c’est être, bien plus que paraître. Puisqu’on finit, tous, par disparaître. » Et Patti Smith, marraine des punks, renchérit : « – No future ! »
Nash, contre
toute attente, est accessible grâce à Françoise Besnard-Canter,
poète-traductrice, et à Jean-Claude Tardif,
revuiste-éditeur, en deux tomes de lettres-poèmes posthumes :
« Maine », revue À l’Index, collection Le Tire-langue, 2018 et
« Poèmes à un ami français », ibid, 2020. Un troisième tome est
bouclé. Ne reste plus aux lecteurs qu’à se précipiter… Qu’en eût dit
Cummings ? « The answer, my friend, is blowing in the
wind... » et de Bob Dylan à Bob Nash, ce n’est pas un bobard !
Jean-Marc Couvé, à Dieppe, 17-19/08/2020
Jean-Marc Couvé (1957),
auteur-compositeur-interprète, traducteur, illustrateur, citoyen du Monde
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