mardi 14 juillet 2020

Collection "Les Plaquettes" : "Dans l'entre-temps, j'écris" de Jean-Claude Tardif

Voici le vingtième titre de la Collection "Les Plaquettes"
Format 21X15 - 56 pages intérieures - 
Texte liminaire de Patricia Castex Menier
accompagné de dix encres d'Hervé Delabarre







Dans l'interstice des mots, il est encore des mots. Dans l'entre-temps des heures se bégayent des secondes; des vies entières ! Je le sais, nous le savons tous, mais nous feignons de l'ignorer. Nous ne parlons que de silence et d'horloges arrêtées. Nous retardons sciemment la première parle qui nous dirait l'enfance




Jean-Claude Tardif est né à Rennes en 1963 dans un famille ouvrière. Polygraphe il a été accueilli dans nombre d'anthologies et revues. 




On en parle


 
J'ai relu plusieurs fois "dans l'entre-temps, j'écris". J'avoue qu'il m'a donné beaucoup à réfléchir. René Char disait déjà: "nous ne pouvons vivre que dans l'entr'ouvert, exactement sur la ligne hermétique de partage de l'ombre et de la lumière..." Il me semble qu'avec vous, la recherche d'écriture se soit déplacée : "Le poème, on l'écrira avec du silence". Formule sibylline au premier abord; qui se renforce avec :"dans l'entre-temps n'existe que du silence" et encore :"Le silence qui me constitue, nous le
méconnaissons." J'ai donc repris ma réflexion à la base.
Naître, c'est à la fois naître du monde et naître au monde: il y a là une contradiction dans ce couple: fatalité / liberté. Parler, c'est parler selon le monde, mais c'est aussi parler le monde: c'est obéir à la parole du monde, mais c'est aussi faire avancer la parole du monde. Ce qui veut dire que pour le poète, le monde n'est jamais complètement constitué, sinon il n'aurait plus rien à dire. Le poète cherche les interstices du langage par lesquels il va dire son propre langage qui n'est pas celui admis communément. Vous le dites clairement:
"Entre moi et moi, tous les autres. Entre moi et moi, mon ombre et les ombres de chacun. l'entre partout...."
"Le sang du poème coule lentement dans cet entre-deux que je suis déjà plus."
Le poète se met en retrait de l'agitation du monde; mais il a ce monde en lui dont il ne peut se débarrasser; Un exemple fameux, c'est Beckett dans "L'innommable" : celui qui parle (qui est parlé) le dit: "Folie, celle d'avoir à parler et de ne le pouvoir...dont ils m'ont gavé pour m'empêcher de dire qui je suis, où je suis, de faire ce que j'ai à faire---je suis en mots, je suis fait de mots, de mots des autres."
Parole abrutie de servitude, le contraire même de la parole poétique.
Dans un autre texte , Beckett revient sur cette parole serve: "On m'a dit, mais c'est ça l'amitié, mais si, mais si, je t'assure, tu n'as pas besoin de chercher plus loin."
Ce que vous écrivez , Beckett l'aurait approuvé: "Chercher l'ailleurs, scruter la silice, le silence. Essayer de voir au travers. De remonter à la première image, avant, si cela devient possible.."
Et cette parole qui ne vient que corroborer ce que Beckett écrivait:
J'appelle "Monde" ce qui se trouve en nous et ce que nous croyons savoir de nous"
C'est pourquoi la poésie est si difficile d'accès: elle ramène à l'essentiel , la plupart des gens s'en détournent , préférant vivre à la surface des choses; Le poète fait des expériences inédites:
"L'envergure des rêves noirs des cormorans me fait lever les yeux. Mes pieds se font algues, je n'ose bouger, m'extraire de l'arc-en-ciel de leurs corps filaments."
Ce qui me fait penser à Rimbaud et à ses "Illuminations".
Il n'y a pas que "le Monde" qui veut nous mettre au pas, il y a aussi le Temps inexorable dont parle Baudelaire:
"Et que le Temps....
  Chaque jour frotte avec son aile rude
  noir assassin de la Vie et de l'Art.""
Ces mots à chercher, ces mots qui remonteraient le temps , c'est la tâche du poète, même si d'autres "taches" apparaissent, celles de la vieillesse:
Je cite l'un de vos passages les plus éclairants qui peut nous faire sentir aussi ce qu'est le silence:
"Dans l'interstice des mots, il est encore des mots. Dans l'entre-temps des heures se bégayent
des secondes; des vies entières. Je le sais , nous le savons tous, mais nous feignons de l'ignorer.
Nous ne parlons que de silence et d'horloges arrêtées. Nous retardons sciemment la première
parole qui nous dirait l'enfance."
Char aussi avait vu cet écueil du temps:
"Nous vivons collés à la poitrine d'une horloge qui, désemparée, regarde finir et commencer la
course du soleil."
Et ceci de Char encore qui devrait te plaire:
"j'ai cherché dans mon encre ce qui ne ne pouvait être quêté: la tache pure au-delà de l'écriture
souillée."
Voilà, cher Jean-Claude, ce que m'a inspiré votre recueil : La parole poétique avec vous a encore beaucoup à dire. Merci pour ce recueil. J.V.
 

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