21X15 - 126 pages intérieures -
Jean Chatard en né le 12 février 1934, à Sainte-Terre. Il vit aujourd'hui en Normandie
Jean Chatard : « Je vous écris du fond des mers et autres nouvelles »
Jean Chatard entre « à quinze ans à l’Ecole des Pupilles de la Marine, et à seize ans à l’école des Mousses. En 1951, il s’engage cinq ans… » On ne s’étonnera pas que la première nouvelle décrive une noyade, tant comme le dit la quatrième de couverture, « les mots toujours dans les voiles naviguent vers le rivage des émotions ».
« Je vous écris du fond des mers », la nouvelle liminaire du recueil, est une parabole de l’impossible fraternisation en cas de catastrophe. Un homme se noie, (ultime écho littéraire de la vie de Jean Chatard ?) avant de se retrouver sain et sauf dans une sorte de bulle d’air dans la mer (p 28). Le fin est inattendu … La deuxième nouvelle (la disparition d’une ville nouvelle) est surprenante par sa fin car on a souvent éprouvé le même sentiment d’étrangeté au monde. Le troisième texte de Jean Chatard se termine par une inscription laconique sur le livre de bord du navire qui fait la découverte : « R.A.S. », bien que … Mais, je n’en dirai pas plus … Pour ne rien déflorer.
Mourir déjà, le quatrième texte, est celui d’un homme apparemment comblé (ou oublié) de tout ce que la vie peut lui apporter. Mais il meurt pendant son sommeil et son épouse le découvre, glacé le matin au réveil. Le récit consiste en une description des préparatifs du dernier voyage jusqu’à l’incinération finale qui le délivre à jamais : « Mais je sais que tous les feux de l’enfer ne parviendront jamais à me réchauffer » (p 65). Changement de style avec Trinidad Island : cette nouvelle est plus descriptive, plus réaliste… Une jeune mariée assiste au vol d’une mouche devant pondre ses œufs, dans un quasi cadavre. Un tremblement de terre vient d’avoir lieu, tout est détruit ! La mort viendra comme une délivrance : « Pluie bienfaisante de la mort … » (p 79).
La mort sait attendre offre le portrait d’un aventurier un peu casse-cou, un peu « pas très regardant sur la cargaison » (p 81). Le style est faussement familier (jamais de ne aux locutions négatives, le e muet élidé dans la graphie des mots en comportant un, etc…). Est-ce pour la phrase « t’aurais pas dû accepter ce job, garçon, non, t’aurais pas dû ! » qui revient comme un refrain (sans doute) que je suis tenu en haleine à la lecture de cette nouvelle ? Comme à l’accoutumée, l’art de la chute est clair, net et sans bavures. Les derniers textes offrant un changement de lieu et de style. Notons pour le pénultième un humour bien volontaire (!) dans le titre…
A lire ce recueil de nouvelles, je me dis que Jean Chatard maîtrise bien l’art de la chute. Je me souviens aussi qu’il y a deux ou trois ans l’auteur me jurait que c’était là son dernier recueil de poèmes ! Mais je sais ce que valent ces serments : une note de l’éditeur signale d’ailleurs (p 126) que certaines des nouvelles ont fait l’objet de publications antérieures, sous un titre éponyme par les éditions de l’association « De l’autre côté du mur » en 1999 et sous le titre « Mortellement » par les éditions du Soleil Natal en 1989.
(Jean Chatard : « Je vous écris du fond des mers et autres nouvelles ». Editions A l’Index, collection « Pour mémoire », préface d’André Miguel, 132 pages, 16 euros. Adresse : revue.alindex@free.fr )
Jean CHATARD
Ces nouvelles, qu’elles s’inscrivent dans une mouvance post apocalyptique commeLe signe des temps où un professeur d’université se retrouve en homme tronc, borgne de surcroît, à ramper dans un désert ou revisitent un mythe comme celui du vaisseau fantôme (Un arbre sur la mer), distillent avec une certaine délectation la peur et l’horreur. La mer y engloutit ses proies (La mort sait attendre), la terre ferme ne vaut pas mieux (Mourir déjà), l’homme s’y avère d’une sauvagerie bestiale (nouvelle titre) ou atteint par des phénomènes bizarres de combustion (Feu le troisième homme) ou d’expansion (Un mal) le conduisant inexorablement à la mort.
La férocité manifestée par les caïmans de Trinidad Island, qui ont pour circonstance atténuante le consciencieux massacre deleur progéniturepar l’homme dans un but exclusivement lucratif, sera elle aussi à l’unisson.
Amateurs de fins heureuses passez votre chemin. Dans ces récits plus fantastiques les uns que les autres, parfois absurdes ou énigmatiques, toujours violents ou terrifiants, tous les personnages-narrateurs (des hommes exclusivement) sont condamnés à une fin atroce sans échappatoire possible mais non sans mystère. Même l’espoir de s’en sortir sain et sauf leur est refusé.
Avec Je vous écris du fond des mers, Jean Chatard quitte les rivages de la poésie pour, dans un flirt étonnant avec la littérature de genre qui n’exclut ici ni l’humour noir ni les questions philosophiques sous-jacentes sur l’identité, l’existence, le monde et la mort, nous faire frémir. Le néant envahit l’espace hors de tout repère réaliste et sans la moindre compassion humaine dans un jeu de massacre d’une noirceur et d’une férocité absolue.
Les descriptions imagées et poétiques des décors qui abritent ces scènes d’horreur dignes du Grand- Guignol de la Belle Époque et la langue classique extrêmement travaillée, voire sophistiquée par moment, que l’auteur emploie pour ses récits d’épouvante créent un surprenant décalage entre le registre choisi et la facture utilisée pour la narration.
Une curiosité qui a tout pour satisfaire les amateurs du genre et ceux qui apprécieront ici une prouesse littéraire hors des sentiers battus qu’ils éviteront cependant de lire au coucher pour éviter que d’angoissantes images s’invitent dans leur sommeil. Frissons et rire garantis.
Dominique Baillon-Lalande
(03/04/19) | Sommaire Lectures À L’Index 126 pages - 16 € Jean Chatard, né en 1934, poète et revuiste, a publié une trentaine de recueils de poésie et participé à de très nombreuses revues. | |||
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