Dans l’introduction de Jean-Claude Tardif, deux sujets. La conception de la poésie, d’abord, définie comme acte collectif, création qui se construit, se travaille, dans le temps long. Et, littérature de passage, de transmission […] d’abord enracinée dans les revues. Mais ensuite c’est une parole douloureuse, de deuil, car des êtres qui comptaient sont devenus des absents, que la mort a emportés (âge ou maladie). Expression de désespoir et de doute sur ce qui peut se faire alors, sans les Pirotte, Emaz, Noël et quelques autres, dont, notamment, l’ami cher, Werner Lambersy. Suivent, dispersés dans les pages, sept poèmes dits halieutiques, comme une litanie de signes, univers de pêche, pas métaphorique (ou peu) mais réel : l’eau et des animaux dans leur monde, avec des notes d’humour.
Alors, justement, l’eau. Même si la nouvelle de Jean-Claude Tardif ne suit pas (Le Bruit de l’eau, pp.34-37), je choisis de la mentionner là. Car c’est troublant ce lien. Univers d’eau encore. Une très belle réussite ce récit, car indépendamment de l’histoire c’est une évocation puissante d’un moment de pluie. Le réel et la force métaphorique, cette fois, sont tissés ensemble. Le personnage regarde les passants et se demande (on retrouve la tristesse des deuils mentionnés dans le texte liminaire) lesquels sont dans la mémoire d’un deuil, lesquels dans un an seront disparus aussi. Il pense la vie comme l’écoulement d’une rivière (un mouvement qui a sa propre loi, emportant le présent, effaçant). Lui-même se voit comme un poisson derrière le verre de son bocal (symbole d’impuissance) et de solitude, car il regrette de ne pas exister pour ces passants indifférents à sa présence. Il perçoit le dehors à travers une vitre (Il regardait les gouttes d’eau glisser lentement sur le verre froid). C’est comme un écran qui trouble sa recherche. Car il dit chercher quelque chose qu’il pense être le seul à pouvoir saisir (Il se devait de guetter le signe, l’infime). Là j’ai l’impression qu’on retrouve l’interrogation sur la poésie. Le poète n’est-il pas un de ceux qui doivent se rendre capables de capturer et d’offrir des signes et du sens ? (Voyant, a dit Rimbaud). Cependant l’eau n’est pas que pluie et rivière dans ce récit. Il y a l’eau souillée d’un voisin qui descend bruyamment la canalisation. Le réel trivial revient. Cependant il imagine la couleur des yeux d’une jeune femme sous la pluie, bleus ou vert, en harmonie avec l’hiver et le silence. (Ou avec l’eau…). Peut-être se tourne-t-elle vers lui, ou pas. Mais cet homme, Emmanuel, est malade. Il semble qu’il perde la mémoire et qu’il soit conscient de l’atteinte, douloureusement. Alors il décide de clore sa contemplation et sa vie par un geste final, bruit d’une arme contre bruit de l’eau. C'est la détonation sèche de son 7,65. Triste clôture.
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Les pages qui suivent le texte introductif (pp. 8-19) sont bilingues. Poèmes titrés Journal de la peur. Dominique Stoendesco, qui a traduit les poèmes de Joao Melo du portugais (Angola) nous explique le contexte, employant l’expression stratégie de survie. Textes écrits pendant le confinement dû à la pandémie (2020), et avec l’attention, aussi, portée à des révoltes et violences un peu partout dans le monde. Publication en portugais en 2021. Le premier poème (De la nécessité de la poésie) ne dit ni Je ni IL mais Elle. Dédié à la poète Hissa Hilal, il fait l’éloge d’une poésie radicale et nécessaire. Le deuxième poème (Épitaphe) est un cri. Pour...
les condamnés de la Terre,
ceux qui ne sont jamais allés au-delà des frontières
des quartiers sombres et pauvres
Ensuite (Chronique de la peur), c’est le doute sur la lucidité de l’humanité.
Puis poèmes sur naître et mourir, mort (aussi) par assassinat. Et de nouveau, interrogation sur ce qu’est la poésie.
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Emmanuel Golfin, Poèmes en attente (pp. 28-33) regarde et dit la lumière.
Pas la solaire et vive, la douce : la lueur ténue des lampes dans la nuit.
Et celle des visages : Obliques lueurs des patiences inavouées
Ou les
Brèves trouées luisantes dans la nuit
(celles des trains).
Méditation, esquisse de grandes questions : la vie, la mort, le mystère même de la création :
Parfois une incompréhensible force dicte
Des phrases venues des gouffres sac et ressac
Pour miracle de la venue dans la lumière
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Traduction, de nouveau (pp. 38-40. De l’hébreu. Quatre poèmes de Noam Weissman, traduits par Fabienne Bergmann.
Évocations un peu désabusées des humains dans leurs illusions, les apparences, et coupés du monde, piégés dans le virtuel des écrans. Mais une note d’espoir (qui n’en est pas une car projetée loin dans le temps.…) pour un futur où quelqu’un sortirait de cet état d’absence et regarderait de nouveau le monde réel, où un musicien créerait ce qu’il a entendu en rêve.
Une nuit
Tu te réveilleras.
Vision désabusée, oui.
Mais le questionnement peut s’entendre.
...
Mes textes (poème et méditation en prose) suivent (mais c'est en recension précédente, comprenant aussi ma note de lecture d’un recueil de Michel Diaz).
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Plusieurs poèmes de Mehdi Prévot (pp. 45-49).
Mémoire, silences, non-dits, émotions, et peut-être colères. Et, écho de proximité, Nerval.
Quand l’inattendu de la parole vient troubler la prière improvisée
du silence
Ce qu’on ne dit pas se fraye un chemin sous la table
Pourtant bien dressée (p. 45)
[…]
Et j’ai passé la nuit à me voir dans la coupole du monde
À scruter la venue des anges
Mais pour compagne j’ai la nuit intruse au-dedans (p. 49)
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Aggiornamento, poème de Jacques Nuñez Teodoro (p. 50)
On ne voyage pas
On bouge des restes de rêves
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Claire Légat, Promenoir des Déracinés, poèmes (pp. 62-63)
Toujours le choix de la mise en page centrée, vers brefs le plus souvent. Des touches délicates, comme des fragments sculptés.
transe
du
corail
[…]
en
nids
mes mains
pour consigner l’inquiétude et l’insomnie
de la matière
pour intimer par sa musique
la naissance d’une étoile
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Poèmes des Indiens des Etats-Unis (pp. 82-86). Traduction (de l’anglais américain) et présentation par Vladimir Claude Fisera.
Jim Northrup, À faire le psy (p. 82-83)
J’ai survécu à la guerre
J’avais des ennuis à survivre à la paix
[…]
je me suis rendu compte
que c’était à moi de survivre à la paix
.
Kimberley M. Blaeser, Apprendre à réclamer justice (pp. 83-84)
Et aucun vent du désert
ne saurait relever
cette histoire de perte et de manque
.
Al Hunter, La coupe à prière (p. 85)
Quand la lune est tournée vers le haut comme une coupe à remplir
On doit la remplir. On doit la remplir en honorant les esprits de la création
[…]
Des prières pour le Créateur, des prières pour nous-mêmes, avec les instruments sacrés
Qui nous relient à la gloire de ce monde, qui nous relient à la gloire de ce monde
Et au monde au-delà de notre sommeil.
.
Ofelia Zepeda, Enterre-moi avec un orchestre (p. 86)
Ma mère disait : « Enterre-moi avec un orchestre »
[…]
Le créosote [...]
C’est pour qu’elle garde sur elle l’odeur du désert,
Pour lui rappeler son foyer une dernière fois.
(Le créosote est une plante du désert)
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Poèmes de Vera Duarte, Mots tissés et métissés (pp. 87-99)
Traduction du portugais (Cap-Vert) par Dominique Stoenesco
Enfant de la rue (p. 89)
Sur la plage à la merci des goélands
Des enfants dorment à la belle étoile
Leurs corps épuisés par la faim chronique
Ne parviendront pas intacts à l’aube
Les mots (p. 90)
Dans ma jeunesse j’ai été habitée par des dieux païens qui incendiaient mes veines à coups d’eau-de-vie et m’obligeaient à broyer des mots avides aux hypnotiques aurores et aux nocturnes désespoirs.
[…]
Avec les mots viendrait le temps de la liberté et de l’égalité.
Métissage (p. 91)
Je me sens prêtresse du métissage
Solitude (pp. 98-99)
Au commencement il n’y avait rien
Seule l’eau entourait et isolait tout
[…]
Ô îles de Noirs et de Blancs
Terre aux mille fusions
Ton peuple d’exilés
Rachète l’humanité
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Et voici le texte inclassable de Carmen Pennarun.
Il pourrait bien neiger (pp. 101-112)
C’est un chant d’amour adressé à Emily Dickinson, cette immense poète dont l’œuvre n’a été connue et reconnue vraiment qu’après sa mort. Être magnifique vivant dans un certains secret, en intériorité profonde et volontairement en grand retrait. Comme si sa poésie était surtout exercice intime, ascèse mystique, qu’elle offrait pour un éventuel futur, sans ambition pour le présent.
Carmen Pennarun connaît parfaitement l’œuvre et la vie de la poète, c’est évident. Elle en a une connaissance qui lui fait exprimer une proximité particulière, avec des intuitions et des perceptions fulgurantes. Elle révèle Emily Dickinson, et se révèle aussi. Elle pénètre dans l’univers de celle qui côtoie un autre monde, avec la tendresse qu’on a pour une amie dont on partage bien des traits, même si les choix sont différents (elle peut même adresser des reproches à celle qui par certains côtés veut nous échapper et a renoncé à tant, à trop).
D’abord c’est un récit, double. L’histoire d’Emily, et l’histoire de Mary (peut-être Carmen, réellement ou en rêve…). La vie vraie d’une femme d’un autre siècle, morte en 1886, dont la narratrice, Mary, la jeune fille au calepin, se sent contemporaine, au point de provoquer une rencontre posthume, un dialogue par l’écriture. C’est l’aventure fantastique de Mary partie à la recherche du monde de la poète qu’elle admire tant et vivant de mystérieuses synchonicités, rencontrant des productions du hasard, des signes qui la font basculer entre deux temps.
Carmen Pennarun s’interroge au sujet de l’éprise d’absolu, de sa passion impossible pour un homme, et de son évitement, aussi, de peur de se confronter à un réel décevant. Puis elle fait visiter la tombe d’Emily à Mary, trouver un objet (un stylo bien sûr) qui a traversé les siècles, et rencontrer un chien qui est le jumeau de celui d’Emily, avec le même nom…
Et cette fois Carmen Pennarun reprend autrement la plume pour écrire à Emily et rêver, pour elle, de retrouvailles avec son Lord, Otis Philips. Imaginant qu’au-delà de la mort la rencontre a pu se réaliser : c’est la peau de ton âme qu’il fait frémir pour qu’elle vive charnellement dans l’éternité.
Mais les lecteurs ont été prévenus. Car la lettre adressée à Emily par son amie du XXIè siècle leur envoie aussi un message. Il suffit d’inverser un peu les termes et on comprendra qu’il est demandé d’accepter de bousculer un peu sa rationalité : Si je peux me le permettre, sans vouloir vous faire offense et sans troubler votre immatérialité, je vous propose, comme un échange de bon procédé – puisque de mon côté la matérialité aujourd’hui fut sérieusement ébranlée – de partager mon rêve.
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Traduction. Poésie de l’Ukraine sous les bombes, Anastasia Afanas’eva.
Traduction, et présentation (p. 116), par Vladimir Claude Fisera.
La poète, médecin de formation, devenue psychologue médicale en psychatrie, témoigne de son vécu (réfugiée dans une cave avec les siens, et renaissant d’une autre manière dans cette guerre), elle a décidé de ne plus écrire en russe, pas par haine de cette culture mais « dégoûtée de parler et d’écrire dans la même langue qu’eux ». Poésie moderniste ayant rompu avec l’esthétique soviétique, elle est lectrice, notamment, de Celan et Eliot.
C’est là, chez moi (p. 117)
C’est là, chez moi,
Il y avait un pont, là,
maintenant il n’y en a plus.
[…]
C’est là qu’on vit, contre la clôture.
Dans le ventre du diable,
Oui, c’est bien là.
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Poèmes de Fernando Grignola (pp. 124-129).
Ils ont été publiés en recueil trilingue (français-italien-dialecte d’Agno)
aux Éditions Conférence, en 2023. Sélection de trois textes.
Le souffle de mes gens (p. 127)
Le souffle de mes gens, Seigneur,
Il a le goût de la fatigue et des travaux.
(Ou la vie des paysans de sa région.)
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Et, rubrique Montré du doigt,
Deux recensions de Vladimir Claude Fisera.
Henri Calet (1904-1956) et le patriotisme
L’introduction rappelle la participation d‘Henri Calet à la résistance et l’écriture d’articles dans Combat. La publication du recueil de ses articles est mentionnée (Contre l’oubli, Grasset, 1956).
Suivent des extraits sur le patriotisme, opposé au nationalisme. On retrouve les valeurs des résistants de Combat et cette conception que développa particulièrement Camus.
Autre recension du même auteur,
De Lina Kostenko, Journal d’un fou ukrainien, trad. Nikol Dziub et Sonia Philonenko, L’Harmattan, 2022.
Vladimir Claude Fisera l’introduit ainsi : « Le grand livre de la douloureuse renaissance actuelle de l’Ukraine ». Le journal est daté entre 2000 et 2004 (la Révolution Orange), s’appuyant sur la connaissance des faits marquants dont la catastrophe de Tchernobyl et des mouvements dissidents : années 60 et 1990-1991. Mais le livre a été écrit de 2001 à 2010. Il est très volumineux et pourtant très lu. L’écrivaine, née en 1930, est très populaire.
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Ma recension du recueil de Michel Diaz est sans la note précédente..
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