Voici le trente-quatrième titre de la collection "Les Plaquettes". Il est accompagné de six collages de Manou Joubert
Format 21x15 "à la française" - 46 pages intérieures -
C'est une maison rouge ...
La revue A l’Index publie dans un numéro hors-série un recueil de poésie de Catherine Baptiste illustré de collages de Manou Joubert. Dans un avant-propos, Catherine raconte comment, alors qu’elle était encore très jeune, il lui a été donné de « contempler longuement, patiemment » une reproduction d’une peinture de Kasimir Malevitch (Ukrainien né à Kiev) dénommée « Maison rouge ». Les impressions qu’elle avait ressentie lors de cette découverte ne se sont jamais effacées, elles sont ressorties plus fortement au moment du confinement, elle en a alors tiré ce recueil de poésie qu’elle a voulu rehausser des collages de Manon Joubert pour que le lecteur s’imprègne bien de cette toile et des impressions qu’elle dégage.
Les événements se déroulant actuellement sur le sol ukrainien confèrent, pour Catherine, à cette toile «une vibrante actualité ». Elle ne peut oublier les sensations qu’elle a éprouvées la première fois qu’elle l’a vue et pour s’en libérer elle a voulu écrire en s’appuyant sur deux poétesses qui ont, elles aussi, écrit sur ce tableau, Lavinia Greenlaw et Anna Akhmatova dont elle reproduit les poèmes. « L’une la sait prison, … L’autre la souhaite refuge, … / Comme moi ».
Cette toile représente une maison rouge, comme une tache rouge au centre du tableau, ancrée dans un sol jaune comme un champ de blé ukrainien sous un ciel bleu orageux. Et Catherine écrit : « Face à cette tache rouge / l’idée de beauté pourtant / l’idée de beauté surtout // impeccablement / obstinément // comme du beau linge / plié, repassé // Du linge frais / et ses gestes / ancestraux ». Cette impression de beauté, elle l’évoque tout au long de ce recueil comme le « rouge » récurent, rémanent tout au long de ses vers. Comme une obsession de rouge. « La maison rouge du poème est la tanière / des femmes sauvages / assagies par la beauté // … ».
Catherine ne s’arrête pas à la description de la toile qui l’obsède dont les impressions la débordent, la subjuguent, elle fouille au creux des poèmes de Greenlaw et d’Akhmatova pour en en extraire ce qu’elles y avaient chacune déposé. « Anna crie ses entrailles / donne un non-sens à la folie », « La folie est cette maison rouge recto verso / à plat, façon carte postale (de Lavinia) / sans porte ni fenêtre ».
« Peut-on vraiment caser une maison / dans un poème // Oui de folie » comme l’on fait Lavinia Greenlaw, Anna Akhmatova et … Catherine Baptiste ! Moi j’ai plutôt vu cette maison rouge étanche et obscure comme une tache rouge soviétique au milieu de l’or des blés ukrainiens sous un soleil de moisson, peut-être est-ce que voyait Malevitch en 1932, à l’ère stalinienne … ?
Comme l’écrit Catherine Baptiste dans l’avant
propos, ce recueil est né à la faveur du confinement qui a renvoyé la poète à une jeunesse marquée par la contemplation de l’œuvre de Malevitch datant de 1932. Avec les poèmes de Lavinia Greenlaw et Anna Akhmatova, ses « deux complices imaginaires », reproduits en début de recueil, Catherine Baptiste a trouvé les mots qui « ont fait poèmes » pour libérer sa parole et dire elle aussi sa Maison Rouge
Une parole qui, comme elle l’exprime, a été tue « par des gravats, par un secret d’enfance ».
La « suprématie du sensible » suscitée par le tableau de Malevitch fait qu’il se prête à des interprétations multiples mais non contradictoires. Reprenant les mots des poétesses qui l’ont précédées dans leur fascination pour cette demeure picturale, Baptiste écrit : « La maison rouge : refuge ou prison », sans point d’interrogation. Elle aurait pu écrire : refuge et prison… pour des femmes, pour nombre de femmes assignées à la résidence parentale puis maritale, sans omettre celle où se conçoivent puis s’élèvent, on pourrait dire presque se dressent, les enfants.
C’est de même le lieu de l’enfermement de la raison, qui vire à la folie, celui de l’absence d’évasion qui attise la « fureur du désir ». Lieu ultrasensible, où la cruauté voisine avec l’amour, où brûlent les sentiments divers dans la fournaise de ses murs clos.
Nous sommes des figures grossières
aux mouvements maladroits
La couleur noire nous cerne
fait de nous des prisonnières
Nous sommes rouges
ça fait volume
ça rend perceptible
le poids du corps
le poids de la douleur
leur nos seins
sur nos bouches
La femme occupant la maison finit par faire corps avec elle, par l’intérioriser, au risque de s’emmurer. C’est la maison qui, à force, l’habite, la déroute de son destin sans déloger ni sa force d’âme ni ses humeurs.
Dans nos intérieurs
Nous saignons
Et ce flux abondant est nôtre
Nous le cachons, le préservons
L’offrons à d’improbables enfants
A naître à jamais.
La maison est aussi mouvement, « perpétuelle métamorphose » : « une dévisagée / qu’on méconnaît. ». Elle est « un grand cri contenu », « une blessure cubique […] une tombe. »
Catherine Baptiste questionne la maison rouge – ce qui la fonde, ce qui la limite. Par delà le souvenir, dans tous ses recoins métaphoriques, elle creuse « l’idée de la maison » pour trouver au lieu de la naissance de l’amour et du besoin d’expression le coeur de la création.
Les beaux collages de Manou Joubert « sont venus à la rescousse des mots » pour seconder la poétesse dans son travail de libération de la mémoire et de ré-ancrage de l’écriture.
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