- La collection "Le Tire-Langue" a pour vocation de proposer à la lecture, des ouvrages de poésie contemporaine en version bilingue. Les titres précédemment parus, sont "Le pays perdu de ma naissance" du poète kosovar de langue albanaise Ali Podrimja, "Août 36 Dernier mois dans le ventre de ma mère" du poète turc Özdemir Ince, "La Ronde des Rêves" de la poétesse italienne Chiara de Luca, "Voix Liminales" de la poétesse Franco-américaine Françoise Canter, "Pour un éloge de l'Impossible" du poète castillan Miguel Casado, "Maine" et "Poèmes à un ami français du poète Robert Nash, "La musique me revient par vagues" de la poétesse américaine Anne Sexton, "Mes Humeurs Vagabondes" ou "La Mine !" du poète allemand Johannes Kühn, " Ma rue s'appelle "Reste Fidèle" et "Poèmes épars dans une chemise en carton vert du poète Robert Nash,
A LA PEIRALHA
Ce sont les quelques traces qu'a laissées la Peiralha, ce penchant de colline, sur la ferme de Francille, à Lacaussade où il est né. Et où l'on ne ramassait, me dit-il, que des pierres et des chardons. Les cruels gafa-l'ase. Qui mordent même les ânes.
Joan-Pèire Tardiu y revient aujourd'hui avec ce livre qui a pour titre A LA PEIRALHA Parmi les pierres (Collection « Le Tire-langue », Revue À L'INDEX). Il y revient toujours :
Tornavi totjorn a la peiralha
als gafa-l'ase
de genolhons
dins la manca
lo revolum desnusat
de l'espandi
un pas
cap a la
boiga
Je revenais toujours aux pierres
et aux chardons
à genoux
dans le manque
le tourbillon nu
de l'espace
un pas
jusqu' aux
friches
Je l'accompagne depuis trois livres -depuis bien avant- pels camins : par les chemins. Ses chemins titubants et « parmi les pierres ». Les pierres broyées. Qui sont tout ce qui reste de « la chaussée » -de la voie romaine?-, elle traversait son village natal. Elle lui donna son nom. Elle l'a laissé. Comme trace. Comme ciel. Un ciel de gravier. C'est là que nous avons la chance de le rencontrer, quand los mots endevenon la nusor de las pèiras, « quand les mots deviennent aussi nus que les pierres ». Quelqu'un va et c'est le coeur qui chemine. Le coeur aveugle :
Qu'es aquela nusor pus nusa que lo sang
dins lo jorn rascle
de l'ivern
la meteissa peiralha
pels uèlhs
que la veson pas mai
la pèl sens la pèl
coma la resplandor gandida
de ço que tòrna pus
quelle est cette nudité plus nue que le sang
dans le jour glabre
de l'hiver
le même désert
au fond des yeux
qui ne le voient plus
la peau sans la peau
comme la splendeur bannie
de ce qui ne revient pas
Le coeur chemine. Il avance vers l'origine. Suivant « la draille où souffle ce vent d'avant »:
un fuòc darrièr lo cèl
escampilhat
dels bòsques
desrègui l'èdra
engulhi
la dralha ont bufa
aquel vent
d'abans
dinc'a las raices
de las pèiras
e camini amb lo temps
cap a la vaca que sauta
de contunh
al dessús
dels cavalons
(tornar a Lascauç)
un feu derrière le ciel
éparpillé
des bois
j'arrache le lierre
j'emprunte
le chemin où souffle
le vent
de l'origine
à même les racines
des pierres
et j'avance avec le temps
vers la vache qui saute
sans fin
au-dessus
des petits poneys
(revenir à Lascaux)
Un jour il sera aveugle. Exsops bissiet, comme on dit dans le vieux-celtique continental. Dans le Plomb de Chamalières. Exsops : littéralement « privé d'oeil ». Aboculus en latin de Gaule : aveugle. Eissorbat en occitan, lo còr eissorbat : « le c?ur aveugle ». Il sera aveugle. Il verra. C'est pourquoi il chemine. Nous marchons. Nous avançons. Nous creusons le ciel. Ce ciel de gravier. Dinc'a l'abséncia : « jusqu'à l'absence ».
Parce que « nous ne nous voyons que dans l'absence » (nos vesèm dins l'abséncia).
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