24X18.5 - 115 pages intérieures -
Werner Lambersy ou la Nostalgie de l'Hérésie
constitue le cinquième numéro de la Collection EMPREINTES. Numéro particulier consacré à un auteur.
"Werner Lambersy ou la nostalgie de l'hérésie" econstitue un ensemble autour de l'oeuvre de ce poète majeur né à Anvers en 1941 et traduit dans plus d'une trentaine de langues à travers le monde. Ce volume rassemble des textes et poèmes inédits de l'auteur. Un entretien "Quoique les mots en grondent" entre l'auteur & Jean-Claude Tardif
Ainsi que les participations amicales sous forme de poèmes, textes ou d'études de :
Jean Claude Bologne - Marcel Moreau - Anne Guilbault - Jean-Claude Pirotte - Henri Bauchau - Bernard Noël - Pierre Alechinsky - Pierre-Yves Soucy - Jean-Pierre Verheggen - Serge Pey - François Weyergans - Tahar Bekri - Caroline Lamarche - Liliane Wouters - Lionel Bourg - Jean-Pierre Siméon - André Schmitz - Denys-Louis Colaux - Abdellatif Laabi - Léo Beeckman - Daniel De Bruycker - Patricia Castex Menier - Florian Mor - Nicole Sottiaux - Francine Caron
Illustration Sarah Kaliski - Guy Gofette - Jean-Louis Millet
Photographies : Jean Pol Sterc
Quelques numéros toujours disponibles : 15€
Pour tous renseignements complémentaires : nous contacter sur : revue.alindex@free.fr
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Rencontrer Werner Lambersy
J’ai rencontré pour la première fois Werner Lambersy sur une aire de repos de l’autoroute A4, près de Château-Thierry, il y a huit ou neuf ans. Heureuse époque, qui paraît déjà tellement ancienne, où André Velter lisait de la poésie sur France Culture plusieurs fois par jour. Et donc, soudain, cet éclat noir, dense. Ne m’en reste aujourd’hui pas un mot, mais je me rappelle l’effet, je saurai le reconnaître. Ces jours-là, l’impression se prolonge et j’essaie de commander le livre dont provient la lecture. On m’apprend que le titre est épuisé. On ne fait pas de commentaire. Ce n’est que bien plus tard que je réalise que Werner Lambersy a publié des dizaines de livres, seulement des petits tirages, seulement de « petits » éditeurs. On aurait pu me faire gagner quelques années de lecture roborative. Pour autant, je serais sans doute dans la même perplexité qu’aujourd’hui, du haut (ho-ho !) de ma fréquentation de trois de ses livres, de quelques textes en revues : comment parler de l’œuvre et du poète ? Aucune autre idée ne me vient, que raconter ces quelques rencontres. C’est trop peu, c’est déjà trop. Mais Werner lui même sans doute m’encouragerait vas-y ! avec timidité , mais hardiment ! Constant dans l’erreur comme dirait un autre Belge, quoique bédéiste.
Le premier livre de Werner Lambersy que j’ai tenu en main n’a rien à voir avec Achille Talon, mais s’appelle quand même Achill Island note book, il est paru en 2006. Un album de voyage dans une Irlande « où les routes tournent rond » Le poète y est en goguette au milieu des signes iodés et alcoolisés, goguenard et tendre, moins de densité que de flocons d’écume, de laine ou de brume, encore que… « L’herbe du temps/est un pré communal et pousse/au bord des fossés/Personne ne peut dire : pas ici/ Alors/tout le monde met vite la nappe/pour le pique-nique/n’importe où »…
Il a fallu que j’ouvre le numéro que la revue «A l’index » lui a consacré, pour découvrir, sous la plume d’Otto Ganz, et sous la sienne, l’un des points de départ de son travail, le retournement initial. Vous allez voir, ça nous regarde ! Rappelons donc qu’il est né à Anvers en 1941, dans la possible euphorie de son rexiste de père « qui (…) fasciné par la personnalité d’Adolf Hitler, (…) les expressions grandioses du national-socialisme, s’est engagé activement dans la collaboration (…) fonctionnaire méticuleux, à la fois ambigu dans ses choix et tristement banal dans son manque d’envergure » (Otto Ganz) . Renié et reniant, le fils a choisi l’envers d’un destin d’ordre et de puissance par procuration, que lui tissait le rêve du père. « Tombeau/sous des tombereaux de silence/pour ce vieillard/enfant/abandonné par un fils/qui n’écrit même pas en flamand /et ne le venge/de rien pas même par un succès » ou encore «Monument funéraire/ (…) pour cet homme qui jamais/ne profita/d’un conflit où les guenons/de luxe/épouillaient/les vainqueurs de l’Europe/pour ce guerrier/battu/qui fête encore en l’an 2000/l’anniversaire/du Führer/comme un mamelouk à la mort/de l’empereur » (Le squelette qui pleure). N’importe quelle autre langue, mystique ou canaille, aurait été au rebours de cela, toute autre langue sans doute aurait pu être, pour Werner, respirable, habitable. Notre chance demeure que ce fût le français, vive la Belgique ! Ceci dit, le papa détestait « qu’on le commande en français », le fiston fait du français un outil de non pouvoir. La non-violence n’est pas l’Anvers ni même l’Auvers (autre nid de coucou batave) de la violence, c’est son dépassement.
Je ne peux pas non plus m’empêcher de rapprocher de cette histoire, la désinvolture (autre virevolte) vis à vis de l’œuvre, répandue, sans souci apparent de construction, de thésaurisation, de capitalisation. « (… ) la poésie (…) se servirait de nous, comme un moulin de l’eau et du vent, qui ne savent pas où il vont, pour faire tourner la machine de l’être ». Et aussi (mais non, je n’avais pas inventé !) « la poésie passe par le timide » (entretien avec Jean-Claude Tardif) et encore (Alain Helissen) : « Les mots parent au plus pressé, tête en l’air, ils se font volontiers écraser par le premier venu (…) »
Et depuis lors, depuis là-bas ? Quel style et quel homme ? « Sur l’arc du sexe amoureux, j’ai tendu toutes sortes de cordes jusqu’à ce que la cible, la flèche et le tireur ne fassent plus qu’un » Werner Lambersy se revendique « athée provisoire», dit sa mystique comme « sentiment simple d’être ensemble l’ensemble et tout soi » « non pas éparpillé, mais bien au contraire tissé dans une trame serrée de quelques noms que je respecte » et invoque « le grand rire silencieux /de l’univers/ est une intelligence/amicale /qui ne veut pas que nous/nous sentions plus/petits ni inférieurs à elle » (Conversations à l’intérieur d’un mur).
« Maîtres et maisons de thé », un de ses livres les plus cités, aborde, sur le mode d’un rituel métaphorique, mis en pièces et longuement recomposé, une éthique de la construction de la rencontre, dans laquelle rien ne s’impose. Bâtir la confiance, en somme. Difficile d’épuiser, de boire jusqu’à la feuille, à plus forte raison d’interpréter, un texte aussi foisonnant qu’il se veut architecturé ! Après quelques gorgées petites, mais répétées, je remarque une inversion de l’ordre convenu des initiations : la première rencontre est celle des amants « là le thé lentement préparé sera ce qui dure pour que deux êtres se contemplant coulent glissent infusent se mêlent …. ». Vient ensuite celle avec le maître « …je t’ai laissé le vide/ la courbe et le bol/avec la pluie/le bord/est la leçon où je m’épuise/je sais/comme le sol/ce qui s’échange en buvant », enfin l’ouverture au langage : «maître/il fallait bien/que je t’appelle ainsi/je ne savais pas donner/ni même appartenir/maintenant nous rions/quand il nous plait/d’user des mots » . Sans doute, en poursuivant, trouverais-je d’autres clés de lecture. Mais déjà, je retiens de cette modeste découverte une invitation à lire de manière non linéaire, dans tous les sens, une incitation à dérégler ceux-là de cette manière aussi (et sans GPS) (apathie des cartes)! Et, en fil rouge, toujours constant dans l’erreur, le choix de la non puissance : « et ses ongles/étaient sur toutes choses/les tuiles fines d’un toit/la main/comme la maison/n’enfermait rien ».
Devant cette œuvre généreusement semée, éclaboussée, déployée, au delà des glanages, à nous peut-être de multiplier des moments de rapprochement, de recollement, où l’on se jouera des brisures du Poème. Tikkoun, avez vous dit Tikkoun ? Un jour peut-être, dans cette caricature d’économie de marché qu’est l’édition de poésie, quelque éditeur aura-t-il la folie de proposer à Werner de recomposer non le vase global, utopie plus mythique que mystique, pas forcément désirable, mais du moins l’un des vases possibles. Nous y brasserons, nous y verrons fumer non la totalité de l’œuvre, mais notre propre désir d’écouter, sérieusement, joyeusement, le témoignage de ce vivant …
C’est un de ces moments, une de ces cérémonies secrètes, qui sera ménagé le 1er octobre à 16h30 à la Médiathèque du Pontiffroy dans le cadre des rencontres de Pontiffroy Poésie (entrée libre). Venez ! sans vous, il manquerait quelqu’un.
PS : On me signale l’anthologie parue chez Actes Sud en 2004, dont je ne connaissais pas l’existence. Je vois ce qui me reste à faire et me réjouis d’avance. Mais devant une œuvre aussi multiples, quelques vases de plus, quelques parcours de lecteurs, quelques coéditions de ces petits éditeurs de poésie qui après avoir été à la peine, méritent un peu d’honneur ne feraient pas de mal !
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