dimanche 20 février 2022

LES LIENS DU SAN(G) de Jean-Claude TARDIF


 Cet ouvrage a été coédité avec les éditions JKDC - 169, chemin du lac - Quartier de Sindou - 46320 Vaylats

Les liens du sang


Ces vingt-quatre nouvelles courtes (de quatre à huit pages) creusent, comme le titre l’indique, de façons fort diverses le sillon de la filiation. « Et ce n’est pas là chose légère, futile, que la relation d’un père et de son fils. » (Transmission). Plus de la moitié des récits s’attachent à la relation du fils au père, intense ou espérée en vain, fugace, trop vite rompue ou simple objet de fantasme quand l’identité même de celui-ci reste à l’enfant inconnue. Ce lien spécifique peut être le sujet principal du récit ou se trouver brièvement évoqué en périphérie de l’histoire centrale dans un détour annexe mais toujours significatif. Cette relation filiale nous est majoritairement restituée par le fils. Sauf dans Pas ce soir où un vieux militaire dans un établissement pour personnes âgées attend chaque semaine la venue d’un fils qui ne vient jamais ; dans Le marcheur ou Une petite histoire de famille, c’est par le biais du père que l’histoire nous sera contée. Ceux-ci sont boucher, cordonnier, assassin, militaire, professeur, écrivain, tendre et effacé ou alcoolique et violent, taiseux certaines fois, autoritaire à d’autres, trop absent souvent. Dans plusieurs nouvelles, notamment N’allez pas croire que cela soit facile ou Comme une parenté, ce sont les mères qui laissent d’indélébiles traces chez les fils qui s’expriment. Le sujet peut en être aussi le couple, celui des parents du narrateur bien sûr mais aussi de voisins de palier ou de relations proches comme dans Aymée, Armand et la photographie qui dit si bien l’amour « quoi qu’il en soit », ou encore en creux dans le cas de l’orphelin d’Il aurait suffi. Bref, on nage dans des histoires de famille, avec les secrets qui s’y cachent, les mensonges, les frustrations générées et parfois les drames qui en découlent.
 
S’il y a quelques naissances porteuses d’espoir dans
Les liens du sang, elles restent peu nombreuses en regard du nombre de décès. Et si certains s’éteignent naturellement de vieillesse ou de maladie, la mort violente, par accident, suicide ou agression criminelle n’est pas en reste. On y trouvera deux tueurs et une tueuse en série et des assassins occasionnels ayant refroidi une petite dizaine de personnes. De quoi donner une dominante noire ou polar à ce recueil où le suspense est fort bien entretenu. Partout, ici la mort rôde :   
« J’avais roulé ma bosse, exercé bien des métiers. Orpailleur au Mato grosso, liftier à Buenos Aires, homme d’affaires à Caracas, coursier ici et ailleurs, guide à Cuzco. (…) Dans un premier temps de mon périple, j’avais même accompagné le sous-commandant Marcos au Chiapas. Comme infirmier (…) J’ai vu la mort de près, je l’ai touchée du doigt sous les uniformes dépareillés. J’ai appris à la reconnaître (…) Parfois elle était belle (…) À d’autres moments, elle n’était que laideur et ressemblait à la misère. » (Revenu de loin)
Par l’intermédiaire des grands-parents ou des plus vieux, les drames de la grande Histoire viennent également croiser
les histoires familiales avec des parents juifs exterminés lors de la Seconde Guerre mondiale : « J’avais pour ma part fort peu connu mes parents, qui avaient eu le tort d’appartenir à une minorité en un temps où seule la majorité avait pignon sur rue. C’est d’ailleurs dans une de ces rues qu’on les avait raflés (…) Plus jamais je ne les revis. » (Une petite histoire de famille), des victimes de la guerre d’Espagne (Argeles sur mer) ou de la guerre d’Indochine : « Maï Lin était, en effet, orpheline. Nos troupes lui ayant grandement, sur ce point, facilité la chose en la débarrassant d’une famille aussi nombreuse que pro Hô Chi Minh » (Une petite histoire de famille). Cette dernière nouvelle est du reste une des plus émouvante dans la manière dont elle conjugue le contexte et l’individu entre guerre et racisme. Le narrateur en est un des pères narrateurs qui, comme quelques fils, se sont à un moment engagés dans l’armée.  

Et puis il y a dans Monsieur Charles, la mort invisible de Fredo le sans-domicile mort de froid et celle de ses semblables lors des rixes de rue en lutte pour de la nourriture ou une place mieux abritée.
Dans ces différentes histoires l’alcoolisme s’immisce plus souvent qu’à son tour. Tout particulièrement dans
Récidive qui aborde les violences conjugales dues à l’abus d’alcool avec une chute admirable et inattendue qui laisse coi, ou dans Comme une parenté qui se termine sur deux morts et un coupable qui n’est peut-être pas celui que l’on pourrait croire. Les photos, traces d’un passé oublié ou caché, y jouent aussi leur rôle.

Enfin, Jean-Claude Tardif, ici et là, sème quelques références littéraires évoquant Aragon, Paulhan, Char, Camus, Guilloux dans Hagiographie (fiction très inspirée du personnage de Louis-Ferdinand Céline), Stevenson, Féval et Corbières dans Aymée, Armand et la photographie, Chateaubriand et Cocteau dans Tout est question de perspective avec cette phrase attribuée à ce dernier : « Si un mystère nous échappe, feignons d’en être l’organisateur ». Conan Doyle y fait aussi une brève apparition dans Le complexe de Reichenbach.

L’écriture travaillée, rythmée, ciselée et sans fioriture de Jean-Claude Tardif donne vie à ces nouvelles graves en les positionnant à la lisière de la littérature de genre, polar ou fantastique, et de la nouvelle classique, en trempant sa plume tantôt dans le sang, tantôt dans le vin, tantôt dans la douleur mais aussi dans le rêve, les émotions, un sourire ou le bruissement de l’eau ou du feuillage. Ajoutons à cela une tension bien entretenue, un art de la chute et une bonne dose d’humour noir par moments, cinglant ou plus joueur à d’autres :

À propos du médecin légiste fils de boucher : « Mes collègues quant à eux, disent simplement – avec cet humour qui, paraît-il, est propre à notre profession – que je perpétue une certaine tradition familiale. »  (Le fils du boucher)
« Je n’ai connu mon père que brièvement. Nous nous sommes croisés après une dernière poussée, un premier cri, au sortir de l’utérus. » (Une brève rencontre)
« Il a l’agilité d’un chat noir, disait La triche (…) Il a dû hériter ça de sa mère, disparue comme ça – elle claquait des doigts – quelques semaines après sa naissance. La sienne de disparition, n’affecta ni n’émut grand monde, excepté les mauvaises langues qui perdaient là une des leurs. » (Sur le métier remettre l’ouvrage) 

Jean-Claude Tardif parvient dans Les liens du sang à nous embarquer dans de drôles de voyages, où le mystère, le tragique mais aussi la lumière et la tendresse se tapissent derrière la banalité la plus quotidienne. Ses héros, « humains ballottés par des destins tumultueux » comme l’écrit Jacques Nunez-Teodoro dans la préface, sont nos voisins, nos cousins, nous-mêmes peut-être par instants, leurs douleurs et leurs espoirs résonnent en nous et permettent à l’auteur, sans masque, avec conviction, empathie et subtilité, de se dire, de dire le monde qui déraille, la violence réelle ou symbolique, les secrets et la frustration qui détruisent des vies et l’amour et la joie qui les illuminent.

Du travail d’orfèvre, à lire en solo dans l’intimité ou à voix haute pour le partage, à déguster dans l’ordre ou le désordre mais sans précipitation car chaque détail ici a son importance. Du bel ouvrage ! 


Paroles de lecteurs


 J'ai lu, relu votre livre "Les liens du sang / sang". Oui, vos histoires me "parlent" comme vous l'écrivez dans la dédicace, j'ai été entraîné dans une quête ardente sur la filiation qui dépasse largement la personne de l'auteur. Aucune redite d'une nouvelle à l'autre, vous creusez. Tout sonne juste dans ces variations et l'écriture forte accroît l'intérêt du lecteur.
 Jean Bensimon


Je termine tout juste la lecture de votre recueil de nouvelles. J'ai aimé l'évocation de ces "liens" réels ou rêvés, présents ou disparus, puissants ou ténus auxquels il est impossible d'échapper et qui délimitent un espace à l'intérieur duquel l'existence se cherche un sens, une voie, une voix.
Certaines de ces nouvelles ont trouvé en moi un écho particulier à cause de l'histoire qu'elles racontent, mais pas seulement. A cause peut-être de ce qu'elles ne disent pas, cette ellipse qu'elles dessinent autour d'un sujet d'accès délicat voire impossible à évoquer. J'ai été sensible à cet affleurement d'une vérité qu'on approche avec prudence, au risque de se brûler.
J'ai apprécié la forme de votre écriture, la façon dont vous rythmez les temporalités ainsi que la chute de chacune de ces histoires originales.
Enfin et de façon très exceptionnelle, il est arrivé que le style un peu sophistiqué pour la lectrice que je suis, attiédisse mon intérêt.
Cela dit, c'est l'enthousiasme qui l'emporte que je ne manquerai pas de diffuser auprès de mes relations, amateurs de nouvelles ou quêteurs de sujets en lien avec le thème du père dont vous brossez des portraits à la fois crus et émouvants.

Bien à vous

Cécile Quiniou 


Bonjour,
J'ai lu avec un très grand plaisir Les liens du sang. Une très belle construction des histoires (et du recueil), des idées originales, des personnages bien campés et surtout une écriture riche et ciselée.Ce n'est pas évident de traiter 24 fois le même sujet avec des thèmes différents et des personnages bien différenciés, de maintenir le suspense jusqu'à la dernière phrase sans lasser le lecteur par des détours trop longs, de laisser parfois planer un léger doute pour ouvrir la nouvelle... Chacune est une réussite. Mes préférées sont "le souffleur" et "le marcheur", pour leur densité et leur délicatesse, mais j'ai beaucoup aimé aussi le fils du menuisier et le fils du boucher.
Bien amicalement
Jean Claude Bologne


Merci beaucoup pour votre dernier livre "Les liens du sang" 
J'apprécie depuis déjà longtemps vos qualités d'écriture et le talent que vous mettez dans chacun de vos articles et je sais déjà le plaisir que cette nouvelle lecture me procurera.
Robert Dadillon

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