mercredi 30 décembre 2020

LE TIRE-LANGUE présente Mascha Kaléko "La rue s'appelle Reste fidèle"


 La collection "Le Tire-Langue" a pour vocation de proposer à la lecture, des ouvrages de poésie contemporaine en version bilingue. Les titres précédemment parus, sont "Le pays perdu de ma naissance" du poète kosovar de langue albanaise Ali Podrimja,  "Août 36 Dernier mois dans le ventre de ma mère" du poète turc  Özdemir Ince, "La Ronde des Rêves" de la poétesse italienne Chiara de Luca, "Voix Liminales" de la poétesse Franco-américaine Françoise Canter, "Pour un éloge de l'Impossible" du poète castillan Miguel Casado, "Maine" et "Poèmes à un ami français du poète Robert Nash"La musique me revient par vagues" de la poétesse américaine Anne Sexton, "Mes Humeurs Vagabondes" et "La Mine !" du poète allemand Johannes Kühn

La Collection "Les Plaquette" présente Jacques Boise/ "Vers l'outre mer"


Voici le vingtième-troisième titre de la Collection "Les Plaquettes" Format 21X15 - 43 pages intérieures -  Préface de Gabriel Mwènè Okoundji accompagné de huit dessins de Claude Jacquesson












Jacques Boise

Vers l’outre mer

Éditions À l’index, 2020, 43 pages.

 

 

L’appellation « Le livre à dire » regroupe une très féconde revue et plusieurs collections poétiques que l’éditeur Jean-Claude Tardif nous présente sous le titre « À l’index ». Parallèlement à des publications où des auteurs internationaux, et non des moindres, sont publiés toujours en format bilingue, nous sont offerts des recueils de poètes français. On découvre dans sa collection « Les plaquettes » cette envoûtante suite de poèmes en prose de Jacques Boise. Le titre à lui seul dévoile le trajet que fera l’auteur. Et le je pourra ici servir de transfert à tout personnage, comme le lecteur lui-même, qui voudra emboîter son pas vers la plage, la mer, et toute la nature qui s’offre comme tableau. Car, si l’eau, le sable, les nuages, les pins et autres éléments naturels servent de cadre à ce texte, il s’agit bien ici, et avant tout, d’une pérégrination humaine. Présentée par diptyque, chaque page se veut la même aventure discrète au fond d’une âme et les tableaux poétiques vous retiennent sans arrêt. Le charme incessant de cette série se trouve porté par une écriture mûre et maîtrisée. Seule la relecture vous fait percevoir la qualité de forme tant, au premier parcours, on se laisse envahir par l’aspect aussi visuel que discret des poèmes. Le beau mariage du texte et des illustrations de Claude Jacquesson ajoute encore à l’unité de ton de la plaquette, et le préfacier Gabriel Nwènè Okoundji ne manque d’ailleurs pas de souligner que la musique singulière de cette prose poétique provient d’un exil intérieur et non de la simple contemplation. Nous ne savons rien de l’auteur si ce n’est qu’il n’en est pas à sa première publication, deux titres apparaissent de lui dans le catalogue du même éditeur, et nous attendons donc le développement de sa voix.

 

CARINO BUCCIARELLI

 

 Jacques Boise, Vers l'outre mer, À l'Index, coll. Les Plaquettes, association « Le Livre à dire » Jean-Claude Tardif 11, rue du Stade 76133 Épouville, (12€)

Le troisième recueil de Jacques Boise (après Paysage avec mare, en 2019, et Halte à Zaporijia suivi de Jusqu'à Irkoutsk, en 2020, chez le même éditeur) cultive la veine méditative des précédents, tant sur les hommes que sur les pays traversés par ce grand voyageur. La forme est identique : courts versets en prose de 9 lignes. La précision de l'expression s'y allie à l'acuité d'un regard qui s'attarde sur des détails (gouttes d'eau, cormoran, bogues, champignons, etc.) pour dire la saison (l'automne est aussi celui de la vie), ou l'infini du ciel, de la nuit ou de la mer. Beaucoup de couleurs dans ces vignettes qui font songer à des marines évoquant « le grand tableau brun de la plage ». Si bien que l'homme immobile (le poète), confronté au grand corps mouvant de l'océan, scrutant les vagues, éprouve la sensation d'un éternel recommencement. Cette marque du destin inscrite en toutes choses ici-bas exprime un cycle vital : « L'histoire recommencera alors éternellement, vague. » Des vagues au vague à l'âme, donc ! Climat propice à une rêverie douce-amère, aussi profonde que celle d'un Baudelaire confronté à l'abîme liquide (cf. « L'homme et la mer », Les Fleurs du mal, XIV). Chez Boise, pareillement, l'homme et la mer sont aussi jaloux l'un que l'autre de garder leurs secrets.

À commencer par les lieux qui ne sont pas nommés – à quoi bon courir le risque de s'y enraciner ? Le poète nous confie : « Je ne sais rien de cet ici. » L'« ici » en question prend valeur universelle, terrestre, par opposition au ciel et à la nuit, sources de renaissance (« Néanmoins le ciel est propre, comme recommencé. ») ou de terreurs archaïques (la nuit est le domaine des peurs, de l'amour, ou même des morts). Les lieux rendent compte d'un passage, lequel prélude à l'effacement universel rythmé par le flux/reflux des vagues.

L'écoulement du temps est trahi par le « bruit que font les feuilles sèches dans le brun des rabines ». Il marque « la vie qui s'échappe. » L'horizon est porteur de questionnement : « Où se pose le reflet du présent ? » Le temps lui-même est mort. Décidément, le diable est dans les détails...

Le poète, veilleur de nuit, se fait témoin de la mort à l’œuvre : « odeurs d'humus , de mousses ; de pourritures. », « Odeurs de vase, la mort compose. » Il assiste au spectacle offert par la nature : « Souvent la mer. La danse. Le mélange des bleus. Rien d'autre que ce mouvement et moi, immobile, à le suivre des yeux. » Il devient « le passant » confronté au tragique : « Regarder n'est plus acte anodin quand le ciel tremble et s'inverse. » Il en va de même des apparences. Ce qui paraît anodin prend alors valeur essentielle : ainsi, faire le tour de l'île c'est « Revenir sur soi-même sans le savoir vraiment, semblant d'inadvertance. » Aussi bien, l'île se métamorphose-t-elle en l'  « il ». Procédé inverse de l'humanisation du réel en texte : réel décomposé par un « je » (celui du poète) devenu étranger à soi-même...

Le voyage comme expérience littéraire consiste, pour Boise, à « revenir d'enfance comme on revient d'ailleurs. » C'est un prétexte pour interroger sa présence au monde. Ainsi, un « Silex noir veiné de blanc. » devient-il objet de méditation. Ce caillou ne livre rien de ce qu'il contient de ses secrets « à l'exception de cette blanche blessure qui [lui] dit soudain la dureté d'être au monde. » Retour aux Fleurs. Travail de l'intertexte. D'ailleurs, Boise lit « Baudelaire alors que les albatros ont presque disparu. » Gageons que les poètes ne tarderont pas à suivre le même chemin d'écume. Sombre prédiction qui rend le voyage d'autant plus urgent que nécessaire. S'embarquer, soit ! Mais gare aux naufrages !

Boise chante le désespoir de l'homme dressé, seul, face à l'océan, qui guette « une fêlure qui [lui] donnerait à voir l'intérieur du ciel, son reflet sur les vagues. » Vainement : « Pourtant je suis seul avec l'horizon. » La seule rencontre évoquée dans ce recueil a lieu dans un café de Kholmogory : « Je l'écoute, pense à Cendrars. » Unique trace de sociabilité dans ce recueil qui souligne l'impuissance du langage – fût-il poétique – à dire pour partager l'expérience des hommes dans un monde où tout chavire, où les « histoires qu'on se raconte pour effrayer nos peurs » marquent la limite de tout échange. Car que dire de ce monde où tout craque, si ce n'est que le bruit annonce une fin : « Le petit jour et la dernière phrase, nous diront, seuls, l'état du monde ».

Que peut le poème ? Peu. Reste l'infini (retrouvé?). Il fascine, inquiète, terrifie, mais parvient à restituer la beauté d'un indicible qui réside dans le pacte poétique.

Les dessins de Claude Jacquesson prolongent le trait de côte célébré par le poète. Ils empruntent à ces bois (flottés?) des éditions de jadis qui savaient rythmer une lecture. Ils montrent que le grand corps mouvant de l'océan peut aussi mimer le corps figé du poète dans sa contemplation inquiète du monde.


michel lamart



 

Les lecteurs parlent de Boise

Cher Monsieur,
J’ai bien reçu votre livre de Jacques Boise « Vers l’outre mer » avec la préface de notre ami Gabriel.
J’ai infiniment aimé ce texte et les dessins qui l’illustrent, dans une belle correspondance.
Il y a du silence, des profondeurs, des histoires que l’on a envie de partager.
Que cela fait du bien dans cette période où nous avons besoin de lumières et de sens!


LE TIRE-LANGUE présente Johannes Kühn/ La Mine!


 

La collection "Le Tire-Langue" a pour vocation de proposer à la lecture, des ouvrages de poésie contemporaine en version bilingue. Les titres précédemment parus, sont "Le pays perdu de ma naissance" du poète kosovar de langue albanaise Ali Podrimja,  "Août 36 Dernier mois dans le ventre de ma mère" du poète turc  Özdemir Ince, "La Ronde des Rêves" de la poétesse italienne Chiara de Luca, "Voix Liminales" de la poétesse Franco-américaine Françoise Canter, "Pour un éloge de l'Impossible" du poète castillan Miguel Casado, "Maine" du poète Robert Nash et "La musique me revient par vagues" de la poétesse américaine Anne Sexton


Du même auteur dans la même collection est paru en 2020 : "Mes Humeurs Vagabondes"

Johannes Kühn, La Mine ! À L’INDEX, Collection « Le Tire-langue », 2020, 100 p., 17 €

Johannes Kühn est né en 1934 à Bergweiler, dans une famille de mineurs de la Sarre laquelle, deux ans plus tard, s’est établie dans le village d’Hasborn, situé à proximité, où le poète vit toujours. Et ce serait à peu près tout pour la biographie, hormis qu’il est l’un des poètes les plus reconnus d’Allemagne, où il a reçu les très prestigieux prix Lenz (en 2000) et Hölderlin (en 2004), que certains de ses poèmes ont été publiés sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre dans « l’Anthologie bilingue de la poésie allemande. De Dietmar von Aist à Johannes Kühn » dans la » Bibliothèque de La Pléiade », et qu’il a réuni une partie importante de ses poèmes en dialecte Hasborn dans un volume intitulé Em Guguck lauschdre, en 1999. En France, trois livres de poèmes de Johannes Kühn ont déjà été traduits par Joël Vincent, qui est aussi le traducteur des deux nouveaux recueils publiés par Jean-Claude Tardif. Poète et éditeur, Jean-Claude Tardif dirige la revue « À l’Index » depuis les années 2000 (41 numéros parus), ainsi qu’une collection « Le tire-langue » qui publie des ouvrages de poésie en bilingue (Robert Nash, Anne Sexton, et Johannes Kühn). Mes humeurs vagabondes est un choix de poèmes réalisé par le traducteur à partir de l’édition allemande, auquel se rajoutent les trois poèmes offerts à celui-ci par Johannes Kühn lors d’une visite dans la Sarre en mai 2019. Le livre est précédé d’une préface de Irmgard et Benno Rech, un couple d’amis qui accompagne Johannes Kühn depuis des années (depuis la troisième année de lycée en ce qui concerne Benno Rech), et qui a édité la plupart des livres de Johannes Kühn. Il n’y a pas un poème qui ne soit rapporté de ses marches dans la campagne autour du « Schaumberg », point culminant de la Sarre à 570 mètres de hauteur, surplombé d’une tour qui par temps clair permet d’entrevoir une partie des Vosges. Au rythme des heures du jour et au fil des saisons, apparaissent tantôt un village, Hasborn ou Bergweiler, tantôt un arbre du parc ou » l’amitié d’un hêtre » ; ici un geai, un hérisson, un écureuil, là des artisans, un fumeur de cigare, un cheval de bois, lesquels mis bout à bout, comme un haïku dont le sens souvent ne se révèle que par sa proximité avec un récit de voyage (Bashô) ou dans une anthologie avec d’autres haïkus (l’extase du papillonl’extase du thé…), recréent un paysage imaginaire de la Sarre. Si le poète aime à vagabonder dans la campagne, ses humeurs aussi proviennent de ce que la nature lui donne : consolation, réconfort, confiance, tout ce qu’il voit dans la nature lui transmet bonheur et joie, parfois nostalgie et tristesse. Toutefois, il faut savoir que cette disposition est réservée à celui qui ne possède rien et qui habite seul en vagabond dans la nature. Aussi n’est-il pas étrange que Johannes Kühn fasse souvent référence au poète allemand Hölderlin (1770-1843), lorsque celui-ci écrivait que : « Riche en mérites, mais poétiquement toujours, / Sur terre habite l’homme. » Même si la nature que décrit Johannes Kühn est un paysage imaginaire, car non seulement la nature n’a jamais existé à l’état idyllique, mais elle est en voie de disparaître de partout, le lecteur d’aujourd’hui peut reconnaître dans ses poèmes une certaine nature « habitée poétiquement » par l’homme. Le second livre de Johannes Kühn traduit par Joël Vincent et intitulé La Mine ! est également constitué par un choix de poèmes, mais qui contraste fortement avec le premier, car il ne s’agit plus de marches vagabondes dans la campagne, mais de la geste et du travail des mineurs dans les puits de charbon. Rappelons que le bassin de la Sarre était une région de production minière et industrielle, et que le traité de paix signé à Versailles le 28 juin 1919 prévoyait que celle-ci devait contribuer au paiement des réparations en nature dues par l'Allemagne à la France. Le Bassin de la Sarre, bien que relevant toujours juridiquement de la souveraineté allemande, fut placé entre 1920 et 1935 sous le mandat de la Société des Nations, et son administration fut confiée à la France. C'est seulement par les Accords de Luxembourg, signés le 27 octobre 1956, que le rattachement politique de la Sarre à l'Allemagne de l'Ouest fut entériné, permettant ainsi de mettre fin à un vieux contentieux au sein des relations franco-allemandes. Cette dimension historique n’est pas véritablement incarnée dans le recueil de Johannes Kühn, mais elle explique les conditions et les réalités de vie des habitants de la Sarre que le poète a perçues et transcrites dans le réalisme de sa poésie. Ainsi porte-t-il une attention particulière aux outils : « La Pelle » ou « Le Burin » du mineur. Il décrit comme un progrès l’invention de « La Machine à découper », et vante « Le Rouleau compresseur », grâce auquel « nos routes ressemblent à des surfaces vitrées. / Et j’en suis fier », ajoute-t-il. Surtout il se montre sensible aux conditions de travail, celles des femmes qui portaient les seaux de charbon et se chargeaient du travail des champs : « Mère avait le travail posté le plus long de nous tous » (en plus d’avoir accouché de huit enfants dont Johannes était l’aîné). Il faut comprendre ce qu’était le « travail posté » et le taux d’emploi élevé des femmes et des jeunes enfants dans les mines. Quelle que soit la solidarité, ou la nostalgie, que Johannes Kühn entretient avec l’ancien monde des mineurs, il se réjouit de sa disparition progressive : « Il y a encore des mineurs, mais peu / qui descendent dans les galeries toutes noires de la mine. » La fin du charbon signifie la fin d’un certain monde, mais aussi le début d’un autre monde où le paysage imaginaire de Johannes Kühn, avec le vent, la nature et les arbres, prend tout son éclat.

 sur le site Sitaudi par Gilles Jallet


Collection Les Plaquettes "Entrées Maritimes" de Werner Lambersy


 Voici le vingtième-deuxième titre de la Collection "Les Plaquettes"
Format 21X15 - 49 pages intérieures - 
accompagné d'un frontispice d'Otto Ganz

































Werner LAMBERSY : Entrées Maritimes précédées de Portrait de l’œil (À l’Index éd., 2020), 50 pages, 12 euros – 11, rue du Stade – 76133 Épouville ou  revue.alindex@free.fr

     Werner Lambersy est un poète prolifique qui n’hésite pas à brouiller les pistes d’écriture et, forcément, celles de la lecture. Son talent n’est plus à prouver et c’est en éternel adolescent insoumis qu’il avance ses poèmes sur l’échiquier de ce qui s’écrit en 2020.  Après avoir publié 11 livres dans la seule année 2019, il n’est pas à la recherche d’une quelconque performance. Ses « productions poétiques » très variées n’en souffrent nullement. Le goût du vertigineux rend familière chez lui la fréquentation des phénomènes astronomiques : étoiles, comètes, arcs-en-ciel et galaxies. « Dans la veste usée du quotidien », Lambersy se reconnaît à la fois solide et fragile. Il écrit : « Je suis né poète / Pour dire des choses secrètes / Que personne pas même moi / N’écoute chanter ». Il sait bâtir des ponts entre le vide et le plein « car nous sommes poème et néant ». Werner Lambersy a su faire obstacle à ces redoutables entrées maritimes qui auraient pu le faire couler à chaque instant de sa riche existence. Il revient de loin, de très loin mais il est sain et sauf. Oui, par la grâce des mots, il est sauvé car « l’homme est la plus pauvre des merveilles ».