mardi 14 juillet 2020
Collection "Les Plaquettes" : "Cargo" de Patricia Castex Menier
LE TIRE-LANGUE présente Robert NASH/ "Poèmes à un ami français"
Robert Nash naît en 1930 à Eastbourne. Petite station balnéaire du Sussex, non loin du cap Béveziers. Peut-être y a-t-il croisé, enfant, le roi Georges V et la reine Mary ou Claude Debussy qui disait de cette station en vogue des bords de Manche, que c'était un lieu « où la mer s'exhibe avec une correction purement britannique ». À la fin des années 30 ses parents émigrent vers les États-Unis. Il se marie en 51 avec Catriona Macfarlane. Ils auront un fils mort au Vietnam en 1974. Catriona mourra deux ans plus tard. C'est peu de temps après que Robert Nash s'installera dans sa petite maison du Maine. Il disparaît en 95, alors qu'il était parti en randonnée. Malgré les recherches son corps ne sera jamais retrouvé.
Du même auteur, dans cette même collection est paru en 2018 : "Maine"
Robert Nash
Poèmes
à un ami français
Éditions de la revue À l’Index, 2020, 105 pages.
Curieuse aventure en vérité que celle de
ce manuscrit. L’éditeur, Jean-Claude Tardif, lui-même poète, alors qu’il
soulève le couvercle d’une malle, découvre des poèmes-lettres adressés à son
père. L’auteur : un certain Robert Nash, Anglais devenu Américain. Tout à
la surprise de plonger dans l’échange occasionné par une amitié dont il
ignorait tout, il se surprend à déchiffrer l’anglais de vieux feuillets, tantôt
peu lisible, tantôt totalement ruiné par le temps et l’humidité et à aller
jusqu’à concevoir une édition. Ainsi, quarante ans après avoir été écrites,
voici que nous accédons à quelques pages sauvées de l’oubli. La voix de Robert
Nash, toute en clarté et sobriété, nous invite, en dévoilant quelques parts
intimes d’une destinée, à pénétrer dans la dernière phase d’une vie faite de
solitude voulue et acceptée. Nous allons donc, au fil des poèmes, nous
rapprocher des souvenirs de la femme aimée, disparue deux années après la perte
du fils, mort en 1974 au Vietnam. Nous ne trouvons là aucun dolorisme, mais une
déchirante méditation sur le repli d’un homme qui trouve dans la présence d’un
blaireau la seule et suffisante compagnie. Un sac à dos / rien d’autre pour
une vie / peu de souvenirs d’enfance / une plage peut-être sur la côte anglaise
/ un père, une mère / qui présage ce que vous serez. Que valent donc nos
destinées ? sinon d’accéder à l’oubli de sa propre personne. L’auteur
évoque largement des faits anodins, le cri d’un balbuzard, le vent dans les
arbres, sans jamais relâcher sa pensée unique : l’effacement. Et comme si
l’écriture était dictée par une loi interdisant tout hasard, nous apprenons en
fin de volume que Robert Nash a disparu en 1995 ; il ne rentra jamais
d’une randonnée et son corps ne fut pas retrouvé. Saluons aussi le travail de
la traductrice, Françoise Besnard-Canter. Si elle suit quand cela est permis le
texte au plus près, elle sait que le passage au français nécessite souvent un
déploiement des vers dont l’original en anglais, langue de l’ellipse par
excellence, peut se passer. N’y voyons là aucune trahison, mais au contraire la
volonté de se rapprocher, au risque parfois de l’ajout d’une idée, de la pensée
intime de l’auteur.
CARINO BUCCIARELLI
II
Dylan ne l’a pas lu, ni Sylvia Plath. Pas plus que Berrigan – à ne pas confondre avec Brautigan, qui ne l’a pas connu, non plus – et Bukowski pas davantage qui pensait (comme Ferré me le répétait, aussi), que tous les poètes vivants – sauf lui – étaient nuls. Non avenus.
Dylan, de même prénom, ne l’a pas vu errer dans le Maine, entre 1976 et 1995, État où il a survécu, en triste état, après tant de deuils et douleurs, en proie au doute. Berrigan aurait aimé, j’en suis certain, croiser cet homme-là, meurtri sincèrement, irrémédiablement meurtri, mais qui se tint debout, sur le fil de la canne-épée de la poésie. Oui, Nash (son nom… de ville !) se tient debout, à le lire, et la poésie, avec lui, tient la route, à bout de bras, sans apprêt ni fla-fla. C’est en cela qu’il est proche de Brautigan, toujours à hauteur d’humaine humilité, mais, à l’inverse de Richard (… tu m’entends ?), il ne se suicida, Nash. Robert avait mieux à faire : il correspondit, par exemple, des décennies avec le père de Jean-Claude, et celui-ci ne retrouva ces lettres que par hasard, d’autres décennies plus tard.
Comment Dylan,
nobélisé de frais, pourrait avoir entendu parler d’un poète jamais
publié ? Et comment
diable Berrigan, je veux écrire Brautigan, aurait pu lire Robert Nash ?
Même Ferlinghetti – toujours en vie, à 101 ans – dernier acteur-témoin de la
mythique Beat Generation – ne lira sans doute jamais cet homme qui
partit seul en randonnée, en 1995, et dont le corps, à l’instar d’un Arthur
Cravan,
ne fut jamais retrouvé. Bukowski en a la chique coupée ; voire coupe-rosée ! Un poète authentique, bien que (ou parce que) jamais imprimé de son vivant… J’entends, d’ici, Emily Dickinson rigoler : « – Vous voyez bien que ce qui compte, c’est être, bien plus que paraître. Puisqu’on finit, tous, par disparaître. » Et Patti Smith, marraine des punks, renchérit : « – No future ! »
Nash, contre
toute attente, est accessible grâce à Françoise Besnard-Canter,
poète-traductrice, et à Jean-Claude Tardif,
revuiste-éditeur, en deux tomes de lettres-poèmes posthumes :
« Maine », revue À l’Index, collection Le Tire-langue, 2018 et
« Poèmes à un ami français », ibid, 2020. Un troisième tome est
bouclé. Ne reste plus aux lecteurs qu’à se précipiter… Qu’en eût dit
Cummings ? « The answer, my friend, is blowing in the
wind... » et de Bob Dylan à Bob Nash, ce n’est pas un bobard !
Jean-Marc Couvé, à Dieppe, 17-19/08/2020
Jean-Marc Couvé (1957),
auteur-compositeur-interprète, traducteur, illustrateur, citoyen du Monde
Collection "Les Plaquettes" : "Dans l'entre-temps, j'écris" de Jean-Claude Tardif
accompagné de dix encres d'Hervé Delabarre
A L'INDEX N°40
A L'index est avant toutes choses une revue dont le premier numéro est paru en 1999. Dans un premier temps, "prolongement papier" des Rencontres du "Livre à Dire (1997/2012), elle poursuit, aujourd'hui encore son chemin, se voulant avant tout un espace d'écrits. Au fil des numéros, elle a vu son format, sa couverture, se modifier. Pour se présenter aujourd'hui et depuis sa 20iéme livraison sous un format plus réduit (A5) et une couverture "fixe" avec comme identité visuelle la vignette créée pour la revue par l'ami Yves Barbier.
Les vingt premiers numéros ont été imprimés par l'Imprimerie Spéciale du Soleil Natal dirigée par le poète-éditeur Michel Héroult. La mort subite et prématurée de ce dernier, en septembre, 2012 a laissé la revue orpheline et désemparée. Le tirage du numéro 20 n'ayant été livré que pour moitié, il était impératif de trouver un nouvel imprimeur. La question se posa néanmoins de la cessation de parution.
En février 2013, avec la complicité attentive de Robert Dadillon, l'imprimeur fut trouvé.
Format 21X15 - env 172 pages intérieures -
Collection "Les Plaquettes" : "Je ne suis pas mon mental" de Cathy Ko
l'école c'est pas la maison
On en parle
Cathy Ko
illustrations de Emmanuelle Brisset
édité par la revue À L'INDEX
Collection Le Tire-Langue, 2020
12,00 €
Collection "Les Plaquettes" : "Léo, arrêts sur images" de Jean-Claude Touzeil
Jean-Claude Touzeil
illustrations d'Agnès Rainjonneau
édité par la revue À L'INDEX
Collection Le Tire-Langue, 2020
12,00 €
Avec ce livre, nous feuilletons un album photo. Certaines en prise avec le réel, d'autres imaginées aussi vraies que les vraies. Après "Petits cailloux pour Gita" où Jean-Claude évoquait sa mère, c'est son père cette fois qui est l'objet de cette remontée dans le temps (pas si lointain).
LE TIRE-LANGUE présente Johannès KÜHN/"Mes Humeurs Vagabondes"
Ouvrages vendus 17 € (port compris) même coordonnée que la revue A L'INDEX
Johannes Kühn, Mes humeurs vagabondes, À L’INDEX, Collection « Le Tire-langue », 2020, 84 p., 17 €
Johannes Kühn est né en 1934 à Bergweiler, dans une famille de mineurs de la Sarre laquelle, deux ans plus tard, s’est établie dans le village d’Hasborn, situé à proximité, où le poète vit toujours. Et ce serait à peu près tout pour la biographie, hormis qu’il est l’un des poètes les plus reconnus d’Allemagne, où il a reçu les très prestigieux prix Lenz (en 2000) et Hölderlin (en 2004), que certains de ses poèmes ont été publiés sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre dans « l’Anthologie bilingue de la poésie allemande. De Dietmar von Aist à Johannes Kühn » dans la » Bibliothèque de La Pléiade », et qu’il a réuni une partie importante de ses poèmes en dialecte Hasborn dans un volume intitulé Em Guguck lauschdre, en 1999. En France, trois livres de poèmes de Johannes Kühn ont déjà été traduits par Joël Vincent, qui est aussi le traducteur des deux nouveaux recueils publiés par Jean-Claude Tardif. Poète et éditeur, Jean-Claude Tardif dirige la revue « À l’Index » depuis les années 2000 (41 numéros parus), ainsi qu’une collection « Le tire-langue » qui publie des ouvrages de poésie en bilingue (Robert Nash, Anne Sexton, et Johannes Kühn). Mes humeurs vagabondes est un choix de poèmes réalisé par le traducteur à partir de l’édition allemande, auquel se rajoutent les trois poèmes offerts à celui-ci par Johannes Kühn lors d’une visite dans la Sarre en mai 2019. Le livre est précédé d’une préface de Irmgard et Benno Rech, un couple d’amis qui accompagne Johannes Kühn depuis des années (depuis la troisième année de lycée en ce qui concerne Benno Rech), et qui a édité la plupart des livres de Johannes Kühn. Il n’y a pas un poème qui ne soit rapporté de ses marches dans la campagne autour du « Schaumberg », point culminant de la Sarre à 570 mètres de hauteur, surplombé d’une tour qui par temps clair permet d’entrevoir une partie des Vosges. Au rythme des heures du jour et au fil des saisons, apparaissent tantôt un village, Hasborn ou Bergweiler, tantôt un arbre du parc ou » l’amitié d’un hêtre » ; ici un geai, un hérisson, un écureuil, là des artisans, un fumeur de cigare, un cheval de bois, lesquels mis bout à bout, comme un haïku dont le sens souvent ne se révèle que par sa proximité avec un récit de voyage (Bashô) ou dans une anthologie avec d’autres haïkus (l’extase du papillon, l’extase du thé…), recréent un paysage imaginaire de la Sarre. Si le poète aime à vagabonder dans la campagne, ses humeurs aussi proviennent de ce que la nature lui donne : consolation, réconfort, confiance, tout ce qu’il voit dans la nature lui transmet bonheur et joie, parfois nostalgie et tristesse. Toutefois, il faut savoir que cette disposition est réservée à celui qui ne possède rien et qui habite seul en vagabond dans la nature. Aussi n’est-il pas étrange que Johannes Kühn fasse souvent référence au poète allemand Hölderlin (1770-1843), lorsque celui-ci écrivait que : « Riche en mérites, mais poétiquement toujours, / Sur terre habite l’homme. » Même si la nature que décrit Johannes Kühn est un paysage imaginaire, car non seulement la nature n’a jamais existé à l’état idyllique, mais elle est en voie de disparaître de partout, le lecteur d’aujourd’hui peut reconnaître dans ses poèmes une certaine nature « habitée poétiquement » par l’homme. Le second livre de Johannes Kühn traduit par Joël Vincent et intitulé La Mine ! est également constitué par un choix de poèmes, mais qui contraste fortement avec le premier, car il ne s’agit plus de marches vagabondes dans la campagne, mais de la geste et du travail des mineurs dans les puits de charbon. Rappelons que le bassin de la Sarre était une région de production minière et industrielle, et que le traité de paix signé à Versailles le 28 juin 1919 prévoyait que celle-ci devait contribuer au paiement des réparations en nature dues par l'Allemagne à la France. Le Bassin de la Sarre, bien que relevant toujours juridiquement de la souveraineté allemande, fut placé entre 1920 et 1935 sous le mandat de la Société des Nations, et son administration fut confiée à la France. C'est seulement par les Accords de Luxembourg, signés le 27 octobre 1956, que le rattachement politique de la Sarre à l'Allemagne de l'Ouest fut entériné, permettant ainsi de mettre fin à un vieux contentieux au sein des relations franco-allemandes. Cette dimension historique n’est pas véritablement incarnée dans le recueil de Johannes Kühn, mais elle explique les conditions et les réalités de vie des habitants de la Sarre que le poète a perçues et transcrites dans le réalisme de sa poésie. Ainsi porte-t-il une attention particulière aux outils : « La Pelle » ou « Le Burin » du mineur. Il décrit comme un progrès l’invention de « La Machine à découper », et vante « Le Rouleau compresseur », grâce auquel « nos routes ressemblent à des surfaces vitrées. / Et j’en suis fier », ajoute-t-il. Surtout il se montre sensible aux conditions de travail, celles des femmes qui portaient les seaux de charbon et se chargeaient du travail des champs : « Mère avait le travail posté le plus long de nous tous » (en plus d’avoir accouché de huit enfants dont Johannes était l’aîné). Il faut comprendre ce qu’était le « travail posté » et le taux d’emploi élevé des femmes et des jeunes enfants dans les mines. Quelle que soit la solidarité, ou la nostalgie, que Johannes Kühn entretient avec l’ancien monde des mineurs, il se réjouit de sa disparition progressive : « Il y a encore des mineurs, mais peu / qui descendent dans les galeries toutes noires de la mine. » La fin du charbon signifie la fin d’un certain monde, mais aussi le début d’un autre monde où le paysage imaginaire de Johannes Kühn, avec le vent, la nature et les arbres, prend tout son éclat.
en ligne par Gilles Jallet sur Sitaudi